Lutter contre les ravageurs avec les plantes de services en cultures tropicales
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1. Présentation
Caractérisation de la technique
Description de la technique :
Afin de lutter contre la nuisibilité des ravageurs sur les cultures, l’installation de plantes de services peut permettre de réguler directement ou indirectement les attaques d’insectes et d’animaux en les repoussant, les attirant ou en les détournant.
On désigne par plantes de services les espèces implantées avant ou pendant une culture principale, dans la parcelle ou à proximité et qui sont destinées à fournir un ou plusieurs avantages (services écosystémiques) à la culture en place ou aux suivantes dans la rotation. Au-delà de contribuer à la régulation des ravageurs, les plantes de services peuvent également permettre de réguler d’autres bioagresseurs (adventices, maladies), améliorer la structure et la stabilité du sol et le cycle des éléments nutritifs ou réguler le climat (stockage du carbone). Eventuellement, la biomasse produite peut être utilisée pour la fourniture d’aliments ou de combustibles. Elles n’ont toutefois pas une finalité productive, les services d’approvisionnement n’y sont pas recherchés en priorité.
La mise en place de plantes de services permet de réguler les populations de ravageurs au sein de la zone cultivée par plusieurs mécanismes.
- L’action directe consiste à implanter des plantes de services qui auront un effet sur le ravageur en lui-même, en l’attirant ou le repoussant ou en l’affectant négativement. Elle peut être exprimée par plusieurs types de plantes :
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Les plantes allélopathiques : Elles ont la capacité de produire des substances biochimiques toxiques sur d’autres êtres vivants comme les prédateurs. Ex. Canavalia ensiformis sécrète par les racines des toxines nématicides (Ozier-lafontaine et al., 2011).
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Les plantes pièges ou attractives : Elles vont attirer puis retenir le bioagresseur pour le détourner de la culture. Les plantes pièges seront détruites pour réduire les populations de ravageurs présentes sur la parcelle. Ex. Brachiaria decumbens est une espèce non-hôte des principaux nématodes phytoparasites du bananier Radopholus similis et Pratylenchus coffeae. Erianthus a été testée comme plante piège en bordure du champ de canne à sucre pour attirer et supprimer le lépidoptère foreur Chilo sacchariphagus qui ne pourra pas terminer son cycle (Côte et al., 2018).
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Les plantes répulsives : Elles repoussent certains ravageurs par l’émission de composés (foliaires) de diverses natures selon les familles botaniques et les espèces. Ex. Quelques légumineuses dont Melinis minutiflora et D. uncinatum ont été identifiées comme répulsives envers l'oviposition de ces ravageurs (Khan et al., 2000). Le Kaya Blan était utilisé dans le passé afin d’attirer les ravageurs des cultures maraichères (IT2, 2015).
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La stratégie push-pull par l’association plantes pièges – plantes répulsives. Ex. En Afrique tropicale, le contrôle biologique des foreurs de tiges Chilo partellus dans le maïs peut s’effectuer grâce à ce système. Un sous-semis de desmodium uncinatum repousse les ravageurs et une rangée de Pennisetum purpureum plantée autour du champ les attire et les piège (Khan et al., 2000 ; Van den Berg et Van Hambourg, 2014).
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Les plantes écrans ayant un effet barrière ou un rôle de perturbateur olfactif : Elles permettent de détourner les ravageurs de la culture principale en entrainant des difficultés à localiser ou coloniser les plantes hôtes. Ex. De nombreux insectes, en général des piqueurs-suceurs comme les mouches blanches, les thrips, les pucerons et les acariens, voire des lépidoptères ou des mouches, finissent par se diriger vers les couvertures végétales en place ce qui permet de protéger la culture principale (Côte et al., 2018).
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L’action indirecte consiste à implanter des espèces de plantes qui auront un effet sur les auxiliaires (= insectes utiles) qui régulent les populations de ravageurs en les consommant ou les parasitant, en favorisant leurs habitats (fourniture de gîte et de couvert) :
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Les plantes fleuries : Elles attirent les auxiliaires floricoles.
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Les plantes relais ou réservoirs : Elles permettent la reproduction des auxiliaires dans le but de les garder plus longtemps et leur servent de garde-manger.
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Les plantes nectarifères : Elles permettent de fournir du nectar lorsque la culture n’est pas fleurie.
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Il est possible d’implanter des plantes de services pendant la période d’interculture ou en association avec la culture principale ainsi qu’à proximité de la parcelle si un flux est ciblé afin de diminuer les populations de ravageurs présentes sur la parcelle. La bonne gestion de la plante de services passe par le choix de la date de semis et de la densité, de l’agencement des espèces dans l’espace et le temps ainsi que des conditions pédoclimatiques qui impactent indirectement les régulations biologiques.
Cette technique peut être utilisée pour limiter le recours aux insecticides pendant le cycle de la culture ou pour limiter d’importantes attaques sur le rang.
Conditions de réussite :
Il est important de bien cibler le (ou les) ravageurs à réguler ou les auxiliaires à favoriser afin d’orienter le choix des plantes de services à implanter à l’intérieur, en bordure des parcelles, ou dans la rotation. Selon la culture, si elle est annuelle ou pérenne, le choix des espèces végétales à opter dépend de leurs essences qui déterminent leur capacité à accueillir les auxiliaires qui régulent les ravageurs ciblés. Sur le portail EcophytoPIC, la base de connaissances ABAA recensant les Auxiliaires, les BioAgresseurs ainsi que les Accidents physiologiques et climatiques permet d’aider à les identifier et les caractériser.
Précision sur la technique :
Les techniques qui suivent sont spécifiques à la régulation des nématodes en bananeraies mais certaines plantes de services peuvent aussi être rencontrées dans d’autres cultures tropicales. Les techniques pouvant être mises en place pour lutter contre les nématodes sont :
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Les cultures intermédiaires : Plusieurs types de plantes non-hôtes des principaux nématodes phytoparasites du bananier Radopholus similis et Pratylenchus coffeae (dans une moindre mesure) peuvent être cultivées en rotation avec les bananiers : 1) Les cultures traditionnelles de rente, avec certaines variétés de canne à sucre, et l’ananas ; 2) Des graminées fourragères : le Pangola (Digitaria decumbens), le Brachiaria humidicola, Brachiaria decumbens et l’herbe de Guinée (Panicum maximum) ; mais aussi des légumineuses : le soja pérenne (Neonotonia wightii), le Stylosanthes hamata, et le Siratro (Macroptilium atropurpureum) ; 3) Des plantes de couverture comme les Crotalaires (Crotalaria spp) (Risède et al., 2010 ; IT2). D’autres espèces non-hôtes sont relevées dans l’article de Dorel et al (2011), page 4. Les résultats d’essais de cet article montrent aussi qu’une couverture à base de Brachiaria decumbens en période de jachère peut permettre de diminuer les populations de charançon du bananier.
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Les plantes de services associées à la culture principale : Des plantes de couverture non-hôtes de R. similis, peuvent aussi être cultivées en association culturale avec les bananiers, afin de favoriser la biodiversité tellurique et favoriser les espèces bénéfiques du compartiment biotique des sols. Ex. Impatience walleriana présente en zone de montagne (surtout en Guadeloupe) défavorise la multiplication du nématode Radopholus similis dans ses racines lorsqu’elle est associée aux bananiers (IT2 ; Risède et al., 2010).
Une étude bibliographique réalisée par le Cirad fait état de 18 plantes de services utilisées dans les systèmes de culture sur couverture végétale (SCV) à Madagascar dans le but de réguler les ravageurs.
Points de vigilance :
Selon la culture en place, la période et les outils d’implantation seront différents. Les plantes de services peuvent retarder la floraison du bananier de deux ou trois semaines par la présence de biomasse plus importante au sol.
La crotalaire, plante mellifère, favoriserait la présence des polinisateurs mais aussi des chenilles.
Certaines semences d’espèces considérées comme des plantes invasives sont interdites sur certains territoires.
Quelques actions, projets, programmes :
Le projet BANABIO (Evaluation de systèmes de culture innovants de BANAne BIOlogique) étudie l’introduction de couverts végétaux en précédent cultural et en association, et leur efficacité dans la lutte prophylactique contre les ravageurs et des régulations biologiques.
Le projet CaBioSol (Conception de systèmes Agro-écologiques valorisant la Biodiversité des Sols) permet d’évaluer comment l’association et la succession de cultures et de plantes de service contribuent à réduire l’utilisation des pesticides à partir d’indicateurs du fonctionnement biologique du sol.
Le projet STOP (Systèmes de production Tropicaux 0 Pesticide de synthèse) évalue les interactions et la complémentarité des cultures avec la biodiversité fonctionnelle en milieu tropical.
Outils d’aide à la décision :
L’outil SIMSERV (Système expert d’aide à la sélection de plantes de service) a été créé dans l’optique d’optimiser la sélection d’espèces candidates à un ou plusieurs services dont la lutte contre les adventices en bananeraie et en culture d’igname.
Plant’Asso est un outil de recensement de données acquises au champ sur le recours aux plantes de services (en pur ou en mélange) dans un contexte donné (localisation, sol, …) et dans différents systèmes de culture tropicaux dans les DOM.
Période de mise en œuvre
Pendant l’interculture, les plantes de services « nématicides » peuvent permettre de réduire les populations de nématodes. Les plantes de services peuvent aussi être implantées avec la culture déjà en place ou en bordure de parcelle.
Echelle spatiale de mise en œuvre
La démarche commence à l’échelle de la parcelle avec les associations ou les cultures intermédiaires et vont jusqu’à l’échelle du territoire avec l’implantation de bandes fleuries et de haies afin de réguler des populations de ravageurs.
Des raisonnements à l’échelle du paysage, en associant les autres usagers de l’espace (producteurs, collectivités locales, etc.) peuvent permettre d’aller encore plus loin.
Application de la technique à...
Toutes les productions : Facilement généralisableLa technique d’utilisation de plantes de services (couvert végétal associé, culture intermédiaire) est applicable à diverses cultures si les ravageurs ciblés ou les auxiliaires à favoriser sont les mêmes. A noter que si les plantes et les auxiliaires visés sont différents, le raisonnement est lui tout à fait généralisable.
Tous les types de sols : Facilement généralisable
Le levier est applicable à tous les types de sol.
Tous les contextes climatiques : Généralisation parfois délicate
Le choix des espèces à implanter en même temps que la culture de rente ou pendant la période de jachère sont bien évidemment à adapter selon le climat.
Réglementation
Des semences de plantes, considérées comme invasives, sont interdites sur certains territoires.
2. Services rendus par la technique
Gestion des ravageurs
Gestion des auxiliaires ennemis des bioagresseurs
3. Effets sur la durabilité du système de culture
Critères "environnementaux"
Effet sur la qualité de l'air : En augmentationPar rapport à un sol nu, une tendance à la diminution des insecticides voire la suppression peut être observée avec les plantes de services mais il faut garder à l’esprit que les intensités d’attaques des ravageurs varient d’une année à l’autre.
Effet sur la qualité de l'eau : En augmentation
Les plantes de services peuvent permettre de diminuer l’application d'insecticides et d'autres produits phytosanitaires. Elles permettent aussi de diminuer l’utilisation d'engrais et limiter le transfert des produits phytosanitaires ainsi que le lessivage/la lixiviation des éléments nutritifs vers les nappes d’eau souterraines en hiver par les pluies.
Effet sur la consommation de ressources fossiles : Variable
Ce critère dépend de la technique (plantes de services associées, en interculture), de la conduite et du nombre de passages dans la parcelle (travail du sol, implantation, entretien, destruction) par rapport aux passages de produits phytosanitaires.
Stockage de carbone : En augmentation
Les plantes de services (couverts végétaux et leurs repousses) permettent de stocker du carbone et donc de limiter les émissions de gaz à effet de serre vers l'atmosphère.
Critères "agronomiques"
Productivité : VariableL’effet observable varie selon la technique mise en place.
La couverture du sol en bananeraies par les plantes de services peut permettre des gains de rendement significatifs (Coatis, 2015). Les jachères enherbées avec le Bracharia decumbens sur des durées de 2 ans suivies d’une replantation avec des vitroplants de bananes ont permis sur une exploitation Martiniquaise de remonter les rendements de bananeraie de 50% et d’allonger la durée de vie des parcelles en bananes (IT2, 2015). Toutefois, un décalage du cycle du bananier sera observé par la couverture du sol qui engendre un retard de développement végétatif et une floraison plus tardive (Achard, 2019) (peut-être dû en partie à une température un peu plus basse en présence de couvert).
En canne à sucre, le projet CanécoH a montré que le couvert végétal n’a pas d’impact sur les rendements, qui ont été égaux, voire supérieurs au témoin sans couvert ou sans réduction d’azote minéral.
Qualité de la production : Variable
Le levier peut avoir un effet positif sur la qualité de la production s’il est bien maitrisé mais une mauvaise gestion des plantes de services peut attirer davantage les insectes au risque de perdre l’effet bénéfique des auxiliaires.
Il faut éviter de planter du manioc à proximité de bananiers car celui-ci donne un gout amer aux fruits (DAG, 2018).
Fertilité du sol : En augmentation
D’une manière générale, les couverts d’interculture ou associés améliorent les composantes physiques (diminution du ruissellement, de la battance et de l’érosion), chimiques (amélioration de la disponibilité des éléments nutritifs dans certains cas, diminution de la lixiviation) et biologiques (amélioration de la vie du sol et de la teneur en matière organique) de la fertilité du sol. Leur décomposition permet d’augmenter les teneurs en matière organique du sol et en azote dans le cas de certaines plantes.
Stress hydrique : Variable
Selon le type de sol, les conditions climatiques et la nature des espèces implantées, les plantes de services peuvent induire une concurrence hydrique au sein de la parcelle.
Biodiversité fonctionnelle : En augmentation
L’insertion de nouvelles familles de plantes dans le système apporte de la diversité. Par rapport à un sol nu, les plantes de services permettent d'apporter abri et nourriture aux animaux sauvages (oiseaux, petit gibier, ...), auxiliaires ennemis des ravageurs, pollinisateurs ainsi qu'aux organismes du sol (biomasse microbienne, vers de terre, ...).
Critères "économiques"
Charges opérationnelles : En augmentation
L’utilisation de produits phytosanitaires peut diminuer grâce à l’effet de la plante de services (si le couvert est détruit mécaniquement). Toutefois dans le cas d’une plante de services semée (hors repousses de la culture précédente ou semence de ferme), la semence et le semis peuvent avoir un coût supplémentaire.
L’association d’Impatiens avec les bananiers permet d’empêchent la multiplication des populations de R. similis et de réduire, voire d’éviter le recours aux herbicides (Risède et al., 2010). La réduction d’apport d’azote minéral réalisée sur canne (de -20 à -40 %) est possible en raison de la restitution de l’azote organique des couverts de légumineuses précédant la culture.
Charges de mécanisation : Variable
Passages pour le semis des plantes de services et leur destruction. La destruction par roulage des couverts est rapide et peu coûteuse.
Marge : Variable
Des plantes de services productives (cultures dérobées) permettent d’offrir à l’agriculteur une autre source de revenu. La bananeraie peut accueillir différentes cultures associées en intercalaire comme le taro, la patate douce, la pomme de terre, le maïs, les courges ou des légumineuses telles que les pois ou haricots qui apporteront en plus de l’azote au sol, on parle alors d’association bénéfique ; le verger des patates douces ou du giromon implantées en tant que plantes de couverture.
Critères "sociaux"
Temps de travail : En augmentation
Passages pour le semis et la destruction des couverts.
Effet sur la santé de l'agriculteur : Variable
Par diminution de l’usage des produits chimiques (sauf si destruction chimique).
Les plantes de services présentes dans les situations de fortes pentes permettent une meilleure stabilité des ouvriers.
4. Organismes favorisés ou défavorisés
Bioagresseurs favorisés
Organisme | Impact de la technique | Type | Précisions |
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Chenille | MOYENNE | ravageur, prédateur ou parasite |
Bioagresseurs défavorisés
Organisme | Impact de la technique | Type | Précisions |
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Charançon | MOYENNE | ravageur, prédateur ou parasite | Du bananier |
adventices | MOYENNE | adventices | |
nématode (bioagresseur) | MOYENNE | ravageur, prédateur ou parasite |
Auxiliaires favorisés
Organisme | Impact de la technique | Type | Précisions |
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Auxiliaires défavorisés
Organisme | Impact de la technique | Type | Précisions |
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Accidents climatiques et physiologiques favorisés
Organisme | Impact de la technique | Précisions |
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Accidents climatiques et physiologiques défavorisés
Organisme | Impact de la technique | Précisions |
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5. Pour en savoir plus
6. Mots clés
Méthode de contrôle des bioagresseurs : Lutte biologique
Mode d'action : Action sur le stock initial Atténuation Barrière
Type de stratégie vis-à-vis de l'utilisation de pesticides : Reconception